[Baptêmes sur le site de l'ancien village de Tignes...

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0740 FIGRPT0437 05
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 24 x 18 cm (épr.)
historique Baptême de trois enfants, le 12 mai 1990, sur le site de l'ancien village de Tignes. Un acte symbolique et une cérémonie empreinte d'émotion rendus possible par la vidange décennale du barrage.
historique "Il y a trois bébés, mais je n'arrive pas à les récupérer". Ce zeste d'humour de la part d'Yves Julienne, curé de Tignes depuis un an, détend une atmosphère pleine d'émotion. Au milieu d'un paysage lunaire, il déploie un autel improvisé et enfile son aube. Un à un, il élève les trois enfants vers le ciel, sous l'oeil attendri des familles. Puis il prend dans ses bras Julian, lui verse l'eau baptismale sur le front et le marque du "signe de la croix". De même Victor et Justine reçoivent la bénédiction du prêtre, qui s'efface alors pour quelques minutes devant le grand-père de la petite. Prenant la parole, José Raymond se souvient des "autres" baptêmes, lorsqu'ils étaient encore célébrés en l'église du vieux Tignes. "Sur cette terre de nos ancêtres où furent baptisées des générations de Tignards, ces enfants représentent l'espoir qu'un jour, une nouvelle communauté humaine revive dans ce vallon, autrefois si beau et accueillant". La gorge serrée, le vieil homme jette un regard plein d'amertume autour de lui. Au loin, le barrage domine de toute sa hauteur le vallon, aujourd'hui gris, sec et nu. Seules quelques pierres rappellent encore le village où il est né. Depuis trente-huit ans, la vase a fait son oeuvre et a englouti les décombres des maisons. La vidange décennale de l'ouvrage d'EDF - vidé complètement [en avril 1990], il est remis en eau depuis [le 14 mai], mais il faudra attendre le mois d'août pour qu'il retrouve son aspect habituel - a laissé les dernières pierres de Tignes ressurgir au milieu d'un sol craquelé. Mais déjà, les eaux du lac commencent à lécher ces vestiges. Dans dix ans, il ne restera plus rien. C'est pourquoi la cérémonie [du 12 mai] était symbolique à plus d'un titre. Henri Extrassiaz, Odette et Antoine Favre, David et José Raymond, les Duch, les Boch, les Revial, tous se souviennent de ce jour de mars 1952 où ils ont été contraints, face aux détachements de CRS, de quitter leur village, alors que l'eau envahissait déjà leurs maisons. "C'est ignoble, nous sommes restés jusqu'au bout, mais EDF et l'Etat français nous ont jetés comme des salauds". Après cinq ans de lutte, alors que montait inexorablement la paroi de béton, ils ont tout abandonné. "j'ai fermé la porte de ma maison alors qu'il y avait un mètre d'eau à l'intérieur", se souvient Henri. "Ils ont déménagé le cimetière et enfoui les os dans ce qu'ils appellent un ossuaire. Moi, j'appelle ça une fosse commune", poursuit Antoine. Maisons, hôtels, granges... Tout a été dynamité. "le clocher est parti comme une fusée", témoigne José. Les arbres ont même été rasés. [En 1990], il ne reste plus grand chose du village, si ce n'est le pont construit en 1924, qui a résisté à la formidable pression des eaux et qui permet aux Tignards d'effectuer leur pèlerinage. La plupart des quatre cents villageois sont partis en 1952, "Il a fallu se démerder, ils ne nous ont pas donné grand chose", témoigne Antoine. Car la station de Tignes n'a été construite qu'en 1956, même si certains ont senti l'or blanc sous leurs pieds bien avant. Comme Henri Extrassiaz, fondateur de l'école de ski. "J'étais déjà moniteur. Je savais que nous avions à Tignes l'un des plus beaus sites d'Europe". C'est pourquoi il n'a pas hésité à investir son pécule d'expropriation dans la construction d'un hôtel. Et aujourd'hui, l'Arbina trône encore sur la place centrale, non loin de l'école de ski. Après avoir crié "Au fou", d'autres ont pourtant suivi. Ainsi, la mère de Justine, Isabelle Fraissard, dirige l'hôtel Le Terrachu, légué par son père. Hôteliers, moniteurs ou commerçants, beaucoup ont saisi l'occasion de la création de la station pour "repartir à zéro", mais aussi pour rester proches de la terre de leur ancêtres. [Début mai], ils étaient plus de trois cents à célébrer la messe dite du rassemblement. [Le 12 mai] ils étaient une centaine pour le baptême des trois enfants, "symboles de la tradition qui se perpétue malgré tout". Une cérémonie que les familles auraient souhaitée plus intime, pour pouvoir se recueillir sans témoins, sans cameras ni objectifs. Pourtant, le père Julienne n'a pu retenir son émotion : "Personne n'a pu ou ne pourra expulser de votre coeur l'amour de cette terre de Tignes". Source : "Renaissance d'un passé englouti" / Marie Caballero et Didier Falcand in Lyon Figaro, 14 mai 1990, p.5.
note à l'exemplaire Négatif(s) sous la cote : FIGRP02142.

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